La régularisation des changements d’affectation opérés sans permis de bâtir entre 1975 et 1992
La légalité de l’exigence d’un permis de bâtir pour changement d’affectation entre 1975 et 1992 est contestable et contestée.
L’exigence d’un permis de bâtir pour les changements d’affectation entre 1975 et 1992
L’agglomération bruxelloise a adopté le 21 mars 1975 une disposition qui impose un permis de bâtir pour:
– “l’appropriation d’un ou plusieurs locaux ou encore d’un immeuble bâti en vue de donner une nouvelle affectation à ceux-ci ;
– la modification de la répartition intérieure des locaux d’une construction en vue de les affecter à un usage autre que celui de l’habitation” (article 2, 2°, g, du Titre I du Règlement général sur la bâtisse de l’agglomération bruxelloise du 21 mars 1975).
Cette disposition est entrée en vigueur le 10 juin 1975. Elle a été remplacée, de facto, le 1er juillet 1992, par l’article 84, §1er, 5°, de l’ordonnance du 29 juillet 1991 organique de la planification et de l’urbanisme qui impose, par voie législative, un permis pour tout changement d’affectation.
La légalité de l’exigence d’un permis de bâtir entre 1975 et 1992 a été souvent contestée avec succès devant le Conseil d’Etat ou les tribunaux de l’ordre judiciaire au motif que l’article 44, §2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire n’autoriserait pas le règlement général sur la bâtisse de l’agglomération bruxelloise à soumettre à permis d’autres actes que ceux qu’il a pour objet de réglementer en vertu des articles 59 et 60 de la même loi qui ne traitent aucunement des changements d’affectation (Trib. civ. Brux., 21 juin 1994, 5e ch., R.G. 1178/92, inédit ; Trib. corr. Brux., 49e Ch., 17 novembre 1995, R.J.I., n° 6476 ; Trib. corr. Brux., 55e Ch., 22 février 1997, inédit ; Conseil d’Etat, 1er décembre 1977 ; Conseil d’Etat n° 19.314 du 6 décembre 1978 ; Conseil d’Etat n° 19.371 du 17 janvier 1979 ;…).
« Aux termes mêmes de l’article 59 de la loi du 29 mars 1962, le règlement sur la bâtisse concerne la salubrité, la solidité et la beauté des constructions, des installations et de leurs abords ainsi que leur sécurité ; ce règlement ne concerne que les constructions et nullement l’utilisation qui sera faite des bâtiments. »
Par ailleurs, l’opposabilité de ce règlement a également donné lieu à contestation, au motif que plusieurs communes n’ont pas respecté les modes de publicité fixés par l’arrêté royal du 26 mai 1972, pris sur base de l’article 45, § 2, de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes, qui prévoit notamment : « les règlements et arrêtés sont affichés dans chaque commune de l’agglomération et de la fédération et insérés au mémorial administratif de la province » (article 4 de l’arrêté royal du 26 mai 1972).
Aussi longtemps que la formalité de publicité n’a pas été accomplie dans la commune, le règlement est inopposable et, donc, non obligatoire (Conseil d’Etat, n° 21269, 21 juin 1981 ; Conseil d’Etat, n° 21384, 11 septembre 1981 ; Conseil d’Etat, n° 21936, 26 janvier 1982 ; Conseil d’Etat, n° 31487, 1er décembre 1988 ; Collège d’urbanisme, 18 juin 1995, R.B 69/94/11-95/11, sc Gloires nationales).
D’autres jugements ont, au contraire, appliqué, voir confirmé la légalité de l’exigence d’un permis de bâtir pour changement d’affectation entre 1975 et 1992(Trib. civ. Brux., 1er octobre 1985, Rev. Comm. 1985, p.200 ; Trib. corr. Brux., 3e Ch, 27 novembre 1996, JLMB, 1997, p.1506 ; Cour d’Appel Brux., 10 juin 1999, inédit).
Il en résulte, d’une part, que les communes n’appliquent pas toutes de façon uniforme la disposition considérée et, d’autre part, que celles qui en font application sont souvent confrontées à des recours visant à en confirmer l’illégalité ou l’inopposabilité. Face à cette situation, le précédent Ministre chargé de l’Aménagement du territoire, avait par communiqué de presse du 6 février 1998 demandé à l’administration régionale de ne plus faire application de cette disposition du règlement.
La question de la légalité des changements d’affectation opérés sans permis entre 1975 et 1992 se pose généralement en cas de vente et/ou de location d’un immeuble.
En pratique, la question de la légalité et/ou de l’opposabilité de la disposition litigieuse a une importance considérable pour examiner la légalité des changements d’affectation opérés sans permis entre 1975 et 1992.
La question de la légalité des changements d’affectation surgit généralement en cas de vente : les renseignements urbanistiques sollicités auprès de la commune par le notaire avant la passation de l’acte d’aliénation précisent généralement si l’affectation de l’immeuble est régulière ou non.
De façon générale, une convention qui a pour objet de créer ou de maintenir une situation illégale est illicite et peut donc être annulée, les effets de l’annulation remontant en principe à la date de la conclusion du contrat, de sorte que le contrat est censé n’avoir jamais existé.
Il en est ainsi en matière de vente, mais également en matière de bail. Il a ainsi été jugé qu’un bail conclu en fraude aux dispositions d’ordre public relatives à l’urbanisme et l’aménagement du territoire entraîne la nullité du contrat et empêche chacune des parties de réclamer la restitution réciproque de leurs prestations (J.P. Ixelles, 2ème canton, 22 avril 1998, Act. Jur. Baux, 1999, p. 108 et Delnoy, M., “La licéité des baux au regard de la police de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme”, Act. Jur. Baux, 1999, p. 98).
La seule solution pour le propriétaire confronté à ce problème consiste généralement à introduire une demande de permis d’urbanisme en vue de régulariser l’affectation de l’immeuble.
Toutefois, l’introduction d’une telle demande ne garantit pas au propriétaire que le permis sera délivré, soit parce que l’administration risque de juger le changement d’affectation inopportun, soit que les plans d’affectation entrés en vigueur depuis lors ne permettent pas la régularisation de la situation.
La nouvelle ordonnance vise la possibilité d’obtenir un permis de régularisation automatique en vue de restaurer la sécurité juridique.
Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a adopté en séance plénière de ce 18 juillet 2002 une disposition qui permettra de mettre un terme à cette situation confuse.
“Les actes et travaux, accomplis avant le 1er juillet 1992, que l’article 2, 2°, G, du Titre Ier du règlement générale sur la bâtisse de l’Agglomération bruxelloise du 21 mars 1975 soumettait à l’obtention d’un permis de bâtir, sans qu’un tel permis n’ait été obtenu, doivent faire l’objet d’un permis d’urbanisme.
Ce permis ne peut être refusé que si les actes et travaux visés à l’alinéa 1er ne sont pas conformes à un plan particulier d’affectation du sol ou à un permis de lotir en vigueur au moment où ils ont été exécutés ou que le demandeur ne parvient pas à établir que l’affectation ou l’usage du bien n’a pas été modifiée depuis le 1er juillet 1992” (Article 208, §3 nouveau de l’ordonnance du 29 juillet 1991 organique de la planification et de l’urbanisme).
Sont concernés par la régularisation envisagée les immeubles qui ont fait l’objet d’un changement d’affectation sans permis de bâtir entre le 10 juin 1975, date d’entrée en vigueur de l’article 2, 2°, g, du règlement général sur la bâtisse, et le 1er juillet 1992, date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 29 août 1991 organique de la planification et de l’urbanisme qui impose depuis lors un permis d’urbanisme pour changement d’affectation.
Les propriétaires concernés par cette régularisation devront, pour pouvoir maintenir l’affectation actuelle de leur immeuble, introduire une demande de permis d’urbanisme. Ils accompagneront la demande de permis de lapreuve que l’affectation actuelle de leur immeuble existe de façon continue depuis avant le 1er juillet 1992.
Les éléments de preuve d’une affectation continue depuis le 1er juillet 1992.
La preuve d’une affectation continue depuis le 1er juillet 1992 peut être administrée par toutes voies de droit. Peuvent ainsi être pris en considération les baux enregistrés avant le 1er juillet 1992 (bail commercial, bail de bureaux,…), mais également le fait que le siège social ou le siège d’exploitation d’une société était établi avant cette date dans l’immeuble (registre de commerce, annuaire téléphonique de l’époque, échanges de correspondance de l’époque,…).
Lorsqu’il a été satisfait aux exigences précitées, le permis d’urbanisme sera automatiquement délivré, sans que l’autorité délivrante puisse apprécier l’opportunité du changement d’affectation, ni sa conformité au plan régional d’affectation du sol du 3 mai 2001. La modification législative envisagée constitue, en ce sens, un droit à l’obtention du permis d’urbanisme.
En outre, les superficies de bureaux qui seraient ainsi régularisées par délivrance d’un permis d’urbanisme ne seront pas prises en considération pour la mise à jour des soldes de bureaux admissiblesfixés dans chacune des mailles de la Carte des superficies de bureau admissibles (Casba) du plan régional d’affectation du sol (P.R.A.S.).
Il apparaît en effet clairement à la lecture du nouveau §3 de l’article 208 de l’ordonnance du 29 juillet 1991 organique de la planification et de l’urbanisme que les seules dispositions à prendre en considération sont « un plan particulier d’affectation du sol ou à un permis de lotir en vigueur au moment où ils ont été exécutés ».
Comme le précisent les travaux préparatoires de l’ordonnance, la nouvelle disposition « ne fait référence ni à la Burex ni à la Casba. De manière générale, il ne fait pas référence au plan de secteur ou au P.R.A.S. Il faut et il suffit de démontrer une affectation continue. » (Doc. Parl. Bruxellois, A-284/2, session 2001/2002, p. 86 et suiv.).
Cette solution est corroborée par le fait que ces superficies de bureaux ainsi régularisées existent au moins depuis le 1er juillet 1992. Dès lors, elles ont déjà été comptabilisées dans l’estimation des superficies de bureaux existants (Burex) lors de la fixation des soldes de bureaux admissibles de la Casba. A nouveau, les travaux préparatoires de l’ordonnance permettent cette interprétation. En effet, en réponse à un commissaire, le secrétaire d’Etat en charge de l’Aménagement du territoire indiquait que : « Au niveau de la situation de fait qui a servi à l’élaboration de la Casba, la distinction n’est pas faite entre les bureaux irréguliers et réguliers. »
Quelques vérifications préalables indispensables avant d’introduire une demande de régularisation
Ne bénéficient pas de l’opération de régularisation envisagée :
– l’immeuble dont l’affectation n’est pas conforme à un P.P.A.S. ou à un permis de lotir qui existait déjà au moment du changement d’affectation opéré ;
– l’immeuble dont le propriétaire ne parvient pas à démontrer que l’affectation actuelle est continue depuis avant le 1er juillet 1992.
Il est donc important, avant d’introduire une demande de permis de régularisation, de vérifier si le changement d’affectation a été effectué à l’époque en conformité avec un P.P.A.S. ou un permis de lotir et de recueillir les éléments de preuve permettant d’établir la continuité de l’affectation de l’immeuble depuis avant le 1er juillet 1992.
La première exclusion se justifie par le fait qu’un changement d’affectation effectué en infraction avec un plan particulier d’affectation du sol ou un permis de lotir constitue une infraction urbanistique spécifique (en vertu de l’article 64 de la loi organique du 29 mars 1962) distincte de celle d’opérer un changement d’affectation sans permis de bâtir préalable.
A notre sens, pourra cependant bénéficier de cette régularisation, le changement d’affectation opéré sans permis en infraction avec un plan particulier d’affectation du sol ou un permis de lotir, lorsque l’infraction au plan particulier ou au permis de lotir a cessé avant le 1er juillet 1992 (exemple : abrogation du plan particulier par le plan de secteur du 28 novembre 1979, péremption ou abrogation du permis de lotir, modification du plan particulier ou du permis de lotir de façon conforme au changement d’affectation opéré). En effet, compte tenu de la motivation de l’exclusion précitée, rien ne permet de justifier pourquoi cette situation serait traitée différemment de celles qui bénéficient de l’opération de régularisation envisagée.
Joël van Ypersele et Pascal Hanique