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L’unité de la fratrie à la rescousse de l’hébergement égalitaire

Différents articles de ce blog détaillent le principe de l’hébergement égalitaire existant en Belgique pour les enfants de couples séparés.

Ce principe connaît certaines exceptions, la plus notable tenant au jeune âge de l’enfant : lorsqu’il n’est pas encore sevré mais même jusqu’à l’âge de 3 à 5 ans selon les juridictions, l’hébergement maternel serait prioritaire ;

Les tribunaux suivent en cela l’opinion des spécialistes de l’enfance, bien que cette opinion est de plus en plus ébranlée comme je l’ai détaillé dans mon article « L’hébergement égalitaire à la barre des tribunaux ».

Notons que cette « priorité » maternelle n’est pas un critère légal, ainsi que l’a rappelé un arrêt de la cour de cassation du 20 janvier 2020, mais c’est plutôt un fait.

Quoi qu’il en soit, une nouvelle disposition légale introduite en juin 2021, à savoir l’article 387septiesdecies du Code civil, est venue bouleverser cette « exception » :

Elle prévoit que « Les frères et soeurs mineurs ont le droit de ne pas être séparés. Ce droit doit être apprécié dans l’intérêt de chaque enfant. Si l’intérêt d’un enfant exige que ce droit ne soit pas exercé, les parents, les parents d’accueil, le tribunal et l’autorité compétente à cet effet s’efforceront de maintenir les contacts personnels entre cet enfant et chacun de ses frères et soeurs, à moins que cela ne soit également contraire à l’intérêt de cet enfant. »

Le droit pour l’enfant de vivre avec ses frères et sœurs a été introduit en droit belge pour traduire l’article 8.1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui le prévoit.

Il s’avère que cette disposition permet de combattre un jugement où, dans le cas d’une fratrie de plusieurs enfants, le tribunal accorderait l’hébergement égalitaire pour les aînés (puisque rien ne s’y oppose), et un hébergement principal du benjamin chez la mère en raison de son jeune âge :

Dans ce cas en effet, les enfants seraient séparés certains jours de la semaine, ce que veut précisément combattre l’article 387septiesdecies.

C’est ainsi que les tribunaux qui refusent l’hébergement égalitaire d’un enfant – disons de 2 ans – au motif de son jeune âge, accepteront généralement un tel hébergement si l’enfant a un ou des frère(s) et sœur(s) aîné(s) !

Cela, sauf si le benjamin n’est pas sevré (v. par exemple un jugement du tribunal de la famille du Brabant wallon du 14 juin 2021, publié sauf erreur dans la Revue Trimestrielle de Droit Familial, qui reconnaît cette exception spécifique).

Pour éclairer cette constatation, je propose de citer un jugement prononcé le 7 mars 2023 par le tribunal de la famille de Bruxelles dans un tel cas (à savoir un couple séparé avec une fille de 8 ans, une de 6 et un garçon de 20 mois), et donc tout récent  :

Ce tribunal décide de modalités d’hébergement identiques pour les 3 enfants, tenant à un hébergement égalitaire et en tout cas quasi-égalitaire, alors que la maman s’y opposait en postulant une garde égalitaire pour l’aînée, une garde d’environ 10 jours par quinzaine pour la seconde et une garde de 12 jours par quinzaine pour le dernier ;

Le tribunal retient alors les arguments suivants :

« La demande de Madame reviendrait à multiplier les transferts importants pour les deux plus jeunes enfants ainsi qu’à instaurer d’une manière durable une instabilité dès lors que les enfants seront séparés, ce qui ne répond pas à leur intérêt.

 La fratrie et le maintien de cette fratrie constituent à ce stade un élément de stabilité pour les 3 jeunes enfants sans qu’il ne soit démontré que des modalités d’hébergement qui tiennent compte du maintien de la fratrie puissent être considérées comme contraires à l’intérêt de l’enfant vu les capacité éducatives équivalentes du père et de la mère.

 De plus, la notion d’équité doit aussi être approchée par rapport aux enfants. En effet, les modalités proposées par Madame induiront qu’il faudra expliquer pourquoi un enfant peut partir plus longtemps chez son père et pas l’autre. La problématique de modalités d’hébergement distinctes au sein d’une fratrie peut s’envisager, mais pour des enfants plus âgés qui ont exprimé un tel souhait. »

Que retenir de cela ?

D’abord, il faut évidemment sourire au fait qu’un tout jeune enfant exercera – ou non un hébergement égalitaire selon qu’il a des aînés ou non !

C’est le paradoxe du droit de paraître tortueux, voire incompréhensible pour le commun des mortels !

Mais plus fondamentalement, cette question met en évidence la notion de sécurité et de stabilité pour l’enfant :

Elle est devenue centrale pour les tribunaux de la famille. De plus en plus, ils se rapprochent de la notion anglo-saxonne de caregiver, c’est-à-dire la – ou les personnes (peu importe leur sexe) comme la – ou les situations qui assurent la sécurité de l’enfant.

En portant, puis en donnant naissance au nouveau-né, la mère est réputée caregiver tandis que le père d’un bébé doit, de son côté, établir la même capacité dans son chef.

S’il a des enfants plus âgés, par hypothèse il établit cette « capacité » et, en tout état de cause, l’hébergement identique pour les petits et grands enfants sera justifié ;

C’est une autre manière d’expliquer la combinaison imposée par l’article 387septiesdecies du Code civil.

François-Xavier DELOGNE

7 septembre