La donation à un enfant marié vise-t-elle son couple ou lui seul ?
Les parents sont souvent amenés à aider leurs enfants, notamment lorsque ceux-ci achètent un immeuble ou y consentent de gros frais.
Imaginons un enfant marié sous le régime légal, à savoir sans contrat de mariage :
Généralement, l’opération passe par un virement sur son compte, qui peut être un compte personnel ou un compte commun ouvert au nom des deux époux.
En cas de divorce ultérieur, l’enfant peut-il réclamer le bénéfice intégral de cette aide dans les comptes entre époux – réclamer une « récompense » en d’autres termes – ou doit-on qualifier automatiquement cette aide de commune aux deux époux ?
Cette question a fait couler beaucoup d’encre en raison de l’opposition apparente entre deux dispositions : les articles 1399 et 1405 du Code civil (ancien).
La jurisprudence traditionnelle considérait que si les fonds avaient été virés sur un compte commun, la donation visait les deux époux ; d’autres tribunaux tentaient de déterminer l’intention des parents en fonction des circonstances qui leur étaient présentées ; d’autres s’attachaient à l’utilisation des fonds (projet commun ou projet personnel) ; etc.
A la suite de différentes décisions intervenues entre 2018 et 2021 tant dans la partie francophone que néerlandophone du pays[1], on peut maintenant considérer que, quelles que soient les circonstances, la donation vise uniquement l’enfant et non son conjoint.
C’est assez logique d’autant qu’aujourd’hui, la divorcialité est plus importante : on voit mal deux parents gratifier leur gendre ou leur bru connaissant le caractère éphémère avéré des unions conjugales.
Par exception, les parents peuvent qualifier la donation de commune par un écrit :
Cette exception est retranscrite dans l’article 2.3.22 du nouveau Code civil applicable depuis le 1er juillet 2022 en ces termes : « Sont communs, les biens donnés ou légués aux deux époux conjointement ou à l’un d’eux avec stipulation que ces biens seront communs ».
Le conjoint peut également prouver l’intention de gratification commune au moyen d’éléments probants, par exemple des écrits de ses beaux-parents qui indiqueraient qu’à l’époque de la donation, ils souhaitaient bien gratifier les deux époux.
Tout est donc clair… mais pas tant que ça, car le droit recèle souvent des surprises et des subtilités inattendues :
En effet, souvent la qualification de « donation » n’est pas explicite, les parents vont parler d’une « aide » ou d’un « coup de pouce », mais rien n’indique qu’il ne s’agit pas d’un prêt ou d’une « aide récupérable » par exemple.
L’adage « donner c’est donner et prêter c’est prêter » montre bien qu’il y a une différence fondamentale, à savoir que la donation est définitive, tandis que le prêt ou l’avance de fonds, pourrait-on dire, est toujours récupérable, à tout le moins si les prêteurs manifestent un jour leur intention de le récupérer.
En droit, les mots comptent et dans ces situations délicates, les mots exacts ne sont pas toujours prononcés et moins encore écrits !
J’examinerai par conséquent dans un article ultérieur la manière dont les parents peuvent récupérer les aides apportées à leur enfant marié lorsque cette aide consiste plus en une aide récupérable – à savoir un prêt qu’une donation ;
Dans ce cas, les parents disposent d’une créance et se demandent comment récupérer celle-ci dans le cadre du divorce de leur enfant.
21 août 2023
[1] Notamment 2 décisions du tribunal de Namur des 21 mars 2018 et 23 décembre 2019, suivies de 2 arrêts de la cour d’appel de Liège des 21 octobre et 6 novembre 2020