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Du neuf en matière d’enrichissement sans cause

Le 4 février 2022, la Cour de cassation a prononcé un arrêt apportant certaines précisions sur le calcul de l’enrichissement sans cause.

1.

Pour rappel, l’enrichissement sans cause, encore appelé enrichissement injuste ou par son nom latin à savoir l’action de in rem verso, est le principe de droit qui permet de fonder les recours pécuniaires entre ex-cohabitants (de fait ou légaux) ou ex-époux mariés sous le régime de la séparation des biens.

Depuis le 1er janvier 2023 par ailleurs, ce principe est maintenant codifié dans le nouveau Code civil sous l’article 5.135 et porte le nom d’enrichissement injustifié.

Sur base de l’enrichissement sans cause, le partenaire de ces couples qui a enrichi l’autre – ou encore l’indivision formée par les deux – détient une créance permettant de récupérer son apport.

Le cas classique est l’apport de fonds personnels dans l’achat ou la rénovation d’un immeuble indivis, voire même d’un immeuble appartenant à l’autre partenaire :

Pour prendre l’exemple basique, Justine et Sacha, cohabitants de fait, achètent un appartement au prix de 350.000 €, chacun pour une moitié indivise ; ils souscrivent un emprunt hypothécaire pour 325.000 €. Le solde du prix (soit 25.000 €) et les frais d’acquisition (disons 43.221 €) sont apportés par Justine seule : elle apporte donc à l’indivision une somme personnelle supplémentaire de 68.221 €

Après la séparation du couple, Justine souhaite racheter la part de Sacha qui se calcule à la moitié de la valeur actualisée de l’immeuble de laquelle on a retranché le solde du prêt hypothécaire.

Elle invoquera en outre l’enrichissement justifié pour récupérer l’apport supplémentaire – et plus exactement la moitié de cet apport constitué par la prise en charge du solde du prix et des frais de notaire :

En effet, à ce moment, il n’y a pas eu de donation à proprement parler, ni de prêt : c’est là que l’enrichissement sans cause vient rectifier une injustice en permettant au partenaire « généreux » de récupérer la part de son apport qui a enrichi l’autre, une fois la séparation ou le divorce acquis.

2.

Comment maintenant calculer la créance une fois celle-ci établie ?

La doctrine – et actuellement l’article 5.137 du Code civil répondent comme suit :

La personne qui bénéficie d’un enrichissement injustifié doit à l’appauvri la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement, estimées au moment de l’indemnisation.

En d’autres termes, d’une part on prend la valeur moindre entre l’enrichissement de l’un et l’appauvrissement de l’autre (s’ils diffèrent bien évidemment) et d’autre part on revalorise cette valeur à la date actuelle puisque le transfert de richesse date par hypothèse de plusieurs années, voire plusieurs décennies.

L’enrichissement est le plus facile à calculer : c’est la plus-value prise par l’immeuble depuis son acquisition ou ses transformations faites, par hypothèse, au moyen des fonds fournis par l’autre, « l’appauvri » :

Imaginons qu’à la séparation l’appartement vaut 500.000 €. Justine a apporté / enrichi l’indivision de 68.221 € : sa créance, à la séparation, vaut donc 68.221 € x (500:300), soit 97.458 €.

Elle peut donc réclamer à Sacha la moitié, soit 48.729 €. Cette somme viendra en déduction de la soulte qu’elle lui doit correspondant à la moitié de la valeur nette de l’immeuble (solde de l’emprunt déduit).

L’appauvrissement, de son côté, peut faire l’objet de deux méthodes de calcul selon les conceptions défendues :

– Dans la conception financière, l’appauvrissement se compose de la perte du montant nominal des fonds investis dans l’immeuble, mais aussi de la plus-value que cet investissement aurait pu générer si l’achat de l’immeuble avait été acté conformément aux investissements respectifs.

Cette conception a pour conséquence de mettre sur le même pied enrichissement et appauvrissement, Justine a donc droit à la même somme de 48.729 €

– Dans la conception monétaire, l’appauvrissement se compose à nouveau de la perte du montant nominal, majorée cette fois d’une allocation complémentaire pour compenser 1) la perte de la valeur de la monnaie avec le temps et 2) le loyer de l’argent que les fonds auraient pu produire s’ils étaient restés dans le patrimoine de l’appauvri :

La créance de Justine est revalorisée par un coefficient correspondant à la dévaluation monétaire (par exemple, l’indice des prix à la consommation) ainsi qu’un autre coefficient correspondant à la perte de revenus produits par cette somme si Justine l’avait placée en banque (par exemple l’intérêt légal).

3.

Or par son arrêt du 4 février 2022, la cour de cassation a relevé que la conception financière ne permettait pas de calculer la valeur moindre entre enrichissement et appauvrissement puisqu’elle revenait à fixer les deux à un même montant.

Dans le cas d’espèce, l’homme avait financé les travaux effectués par sa partenaire dans son immeuble personnel à concurrence de 48.000 € :

Le notaire – qui avait multiplié ce montant par la valeur actuelle de l’immeuble en divisant ensuite le produit par la valeur de l’immeuble après travaux – a, dit la cour de Cassation, « inclus dans l’appauvrissement de l’homme une part de l’enrichissement dont a bénéficié sa partenaire » ;

Par ce fait il a méconnu le principe général de droit qui exige de comparer le montant de l’appauvrissement et celui de l’enrichissement pour choisir la moindre valeur.

4.

En condamnant la conception financière du calcul de l’appauvrissement, la cour de cassation paraît donc obliger les acteurs juridiques (notaires et avocats) à calculer l’appauvrissement uniquement par la méthode monétaire.

Si cet appauvrissement ainsi calculé est inférieur à l’enrichissement, c’est le montant de l’appauvrissement qui constituera la dette de Sacha vis-à-vis de Justine.

Ce serait le cas généralement dans une situation de faible inflation entraînant des taux bancaires quai nuls alors que le prix des immeubles augmente ;

Il se fait que c’est précisément la situation connue ces dix dernières années jusque 2022 – année au cours de laquelle l’inflation a bondi, pour voir ensuite les taux remonter lentement, à partir de 2023.

Je ne peux donc qu’inviter les personnes confrontée, aujourd’hui, à une créance dite « d’enrichissement injustifié » dans le cadre d’une séparation conjugale, à faire comparer les deux calculs – enrichissement d’une part, appauvrissement « monétaire » d’autre part ;

Si l’appauvrissement monétaire de leur ex-partenaire apparaît moindre que l’enrichissement dont ces personnes ont bénéficié, elles pourraient alors bénéficier d’une sérieuse économie offerte, en quelque sorte, par cet arrêt du 4 février 2022 !

François-Xavier Delogne

16 août 2023